
Michelle Palas vit à Bellevue depuis 40 ans. En janvier dernier, Jean-Marc Ayrault lui a remis la médaille de Chevalier de l'ordre national du Mérite pour son engagement en faveur du quartier. © Romain Baro, 2013
À Bellevue, tout le monde connaît Michelle Palas. Et pour cause, son action militante et son caractère bien trempé lui ont déjà valu les titres de la presse locale. Depuis plus de vingt ans, elle préside l'association Bellevue 2000 qui dynamise la vie du quartier, et gère une épicerie communautaire. Un projet d'insertion sociale unique, dans un ensemble urbain désigné en novembre dernier parmi les 49 nouvelles zones de sécurité prioritaires.
L'idée voit le jour au début des années 90. Michelle Palas se mobilise alors en faveur des populations les plus démunies. Elle distribue des colis de nourritures aux portes des immeubles avec d'autres bénévoles. Seulement pour elle, il manque l'essentiel : un lien social fort. « Il fallait faire sortir les gens de chez eux » explique-t-elle.
Alors pour lutter contre l'exclusion et l'assistanat, elle imagine avec son association un lieu de rencontre et d'apprentissage. Une épicerie communautaire qui, en échange de temps d'activités autour de la cuisine, propose des produits alimentaires et un accompagnement social personnalisé.
« Quand on a ouvert, les personnes que l'on accueillait avaient en moyenne 50 ans, aujourd'hui c'est plutôt 37 » constate-t-elle. Un effet de la crise ? Michelle Palas ne se risque pas à l'analyse. Mais elle est certaine d'une chose : « c'est du provisoire qui dure depuis plus de 20 ans ! »

L'épicerie entretient des partenariats avec la Banque Alimentaire de Loire Atlantique et un producteur local de légumes. Chaque membre actif dispose d'une valeur marchande mensuelle à dépenser en produits alimentaires. © Romain Baro, 2013
Car aujourd'hui les demandes affluent et obligent l'épicerie à tenir une liste d'attente. Seulement 27 places sont disponibles : 3 salariés en contrats aidés et 24 personnes bénéficiant du RSA ou d'autres minima sociaux. Si le projet accueille tous les habitants du quartier, ce sont surtout des femmes qui viennent s'inscrire. Elles représentent plus de 80% de l'effectif actuel.
Un tremplin vers l'avenir
En emménageant à Bellevue, Stéphanie, 35 ans, avoue s'être peu à peu isolée chez elle. Elle a découvert l'épicerie par hasard, au détour d'un café au local de Bellevue 2000. On lui a expliqué son fonctionnement. Et c'est le principe du « donnant/donnant » qui l'a convaincu de s'engager. « Le fait de ne pas se sentir assistée m'a redonné confiance en moi » confie-t-elle.
Aimé, 36 ans, a également traversé une période difficile avant d'arriver à l'épicerie. Son avenir ne lui promettait rien de bon. « J'étais au RSA et je ne foutais rien. On m'a parlé de ce lieu, alors je suis venu, par curiosité. Car je n'étais pas spécialement branché par la cuisine. » Et tous ne sont pas intéressés par les produits alimentaires disponibles à l'épicerie. Certains comme Aimé n'en profitent pas réellement.

Chaque plat cuisiné à l'épicerie est conditionné, puis étiqueté en fonction de son coût de revient. © Romain Baro, 2013
Venir travailler quelques heures par semaine, c'est avant tout réapprendre ce qui semble évident pour d'autres : arriver à l'heure, partager des compétences, prendre des responsabilités ou simplement vivre en groupe. « Ici, on croise des communautés qui ne se rencontrent jamais dans le quartier » remarque Aimé.
Séverine Prudhomme, coordinatrice du projet, veille à ce que chaque nouveau membre signe un contrat moral. Car choisir l'épicerie, c'est également accepter de confier ses difficultés de travail, de famille ou de santé. Ce rôle d'écoute, Florence Stevant s'y emploie depuis 15 ans. Elle tient le poste de conseillère en économie sociale et familiale au sein de l'épicerie. Et à en croire Roselyne, 52 ans, cette aide est précieuse : « Ici, on ne juge pas le parcours des gens. »

Stéphanie travaille à l'épicerie communautaire depuis plus d'un an. Comme beaucoup d'autres participants, son objectif était de combattre l'isolement. © Romain Baro, 2013
La plupart des participants renouvellent plusieurs fois leur contrat. Ils restent en moyenne un an à l'épicerie, le temps de retrouver un peu d'autonomie. « Ici, on apprend l'humilité. C'est un micro-apprentissage de la vie » affirme Aimé. Et même si cet apprentissage est court, il permet d'envisager l'avenir avec moins d'appréhensions.
Pour Roselyne le temps du départ approche. Mais elle n'angoisse pas pour la suite : « la sortie ? Je la vois différemment. Ça ne sera plus pareil, je suis plus sûre de moi maintenant. » Pour d'autres, comme Stéphanie, le temps passé en cuisine a favorisé l'échange et a ouvert de nouvelles perspectives professionnelles : « aujourd'hui j'ai envie de monter mon propre commerce, une épicerie, dans le quartier voisin. »